Affichage des articles dont le libellé est Exécutions extrajudiciaires. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Exécutions extrajudiciaires. Afficher tous les articles

09/03/2024

GIDEON LEVY
Des soldats israéliens ont exécuté deux des frères Shawamra, en ont blessé un troisième et arrêté un quatrième
Scènes de la survie quotidienne en Cisjordanie occupée

Gideon Levy &Alex Levac (photos), Haaretz,  8/3/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Trois frères de Cisjordanie qui, comme tous les Palestiniens, n’ont plus le droit de travailler en Israël, franchissent la barrière de séparation pour récolter des plantes afin de subvenir aux besoins de leur famille. Sur le chemin du retour, les soldats ouvrent le feu sur eux

Suleiman Shawamra tient son fils Noureddine , qui a survécu : « Regardez-nous. Est-ce que vous voyez de la haine ? »

La chasse à l’homme. Il n’y a pas d’autre façon de décrire ce que les soldats des forces de défense israéliennes faisaient jeudi dernier à la barrière de séparation  [mur de la honte, mur d’annexion ou mur de l’apartheid, officiellement appelé clôture de sécurité, “Geder Habitahon”, NdT], dans le sud de la Cisjordanie. Repérant un jeune homme qui escaladait le mur à l’aide d’une échelle de corde, et d’autres qui attendaient leur tour, des tireurs embusqués ont ouvert le feu sur eux, atteignant deux d’entre eux dans le dos, l’un après l’autre. Ils sont tombés au sol l’un sur l’autre, ensanglantés.

Les soldats auraient pu facilement arrêter les hommes, les interpeller, tirer des coups de semonce en l’air ou les ignorer et les laisser rentrer chez eux, comme ils le font souvent dans de telles situations. Mais cette fois-ci, ils ont apparemment préféré tirer avec l’intention de tuer, d’abattre des jeunes hommes dont le seul péché était de se faufiler en Israël pour trouver un moyen de subvenir aux besoins de leur famille, de cueillir une espèce de chardon comestible appelé akkoub dans le sol rocailleux et de rentrer chez eux sains et saufs.

Les deux hommes abattus étaient des frères qui avaient des permis de travail en Israël, tout comme leur père ; tous les membres de la famille parlent un excellent hébreu. Mais depuis le 7 octobre, les Palestiniens n’ont plus le droit d’entrer en Israël pour y travailler. Ensemble, trois frères et un ami se sont mis en route pour les champs d’akkoub, dont certains appartiennent en fait à leur famille - la barrière de sécurité a en fait annexé une partie des terres de leur village à Israël - mais sont devenus des champs de la mort.

Deux frères ont été tués, un troisième a été légèrement blessé par une balle qui l’a miraculeusement manqué, et un quatrième a été placé en détention. Sa famille éplorée ne sait toujours pas où il se trouve, et il ne sait probablement même pas que deux de ses frères ont été tués. Israël n’envisage même pas de libérer ce quatrième frère, qui a tenté d’escalader le mur avec d’autres membres de sa famille après l’incident pour voir ce qui s’était passé. Les autorités n’ont pas fait preuve d’un iota d’humanité ou de compassion à l’égard de cette famille doublement endeuillée. Aucune compassion ou humanité à l’égard des Palestiniens ne doit être manifestée ici - et c’est un ordre.

La tente de deuil dans le petit village de Deir al-Asal, avec les posters des frères. À gauche, Salaheddine, et à droite, Nazemeddine.

Dura est une petite ville située au sud-ouest d’Hébron. La plupart des routes d’accès qui y mènent, comme dans pratiquement toutes les villes et tous les villages de Cisjordanie, ont été bloquées par l’armée depuis le début de la guerre à Gaza. La principale voie d’accès à Dura passe aujourd’hui par les rues encombrées d’Hébron. Pour notre part, en nous rendant à Dura, nous avons assisté à un phénomène dont nous n’avions jamais été témoins auparavant : la résistance dans toute sa splendeur.

03/02/2024

GIDEON LEVY
Dans cette “zone folle” de Cisjordanie, ils tirent aussi sur des USAméricains


Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz, 3/2/2024
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Des colons israéliens et/ou des forces de sécurité ont tiré sur une voiture en Cisjordanie, tuant un jeune USAméricain d'origine palestinienne qui était sur le point de commencer des études d'ingénieur dans sa ville natale, la Nouvelle-Orléans, et qui rêvait de travailler à la NASA.

Hafeth Abdeljabbar avec la photo de son fils, Taoufik, cette semaine. « D'autres générations grandiront et se battront pour la liberté. Je veux que votre gouvernement le sache »

Taoufik Abdeljabbar rêvait d'étudier l'ingénierie aéronautique dans une université de Louisiane, où il était né. Il y a neuf mois, sa famille a décidé de retourner en Palestine et s'est installée à Al-Mazra’a ash-Sharqiya, la ville natale du père, au nord-est de Ramallah, pour permettre à ses enfants de connaître leur culture et leurs racines palestiniennes. La maison familiale du village, où les ancêtres du jeune défunt sont nés il y a plus de quatre générations, a été construite en 1870. Aujourd'hui, la vieille structure en pierre est abandonnée, mais la famille envisage de la rénover et de la transformer en maison d'hôtes.

Taoufik était un garçon usaméricain, sa langue maternelle était l'anglais, mais il parlait aussi l'arabe, la langue de ses ancêtres. Son père, Hafeth Abdeljabbar, et le frère de Hafeth, Rami, l'oncle de Taoufik, possèdent une chaîne de magasins de chaussures de sport en Louisiane ; les deux hommes font constamment la liaison Al-Mazra’a ash-Sharqiya-Nouvelle-Orléans. Au printemps 2023, le père a laissé l'un de ses fils gérer l'entreprise familiale et s'est installé avec sa femme et leurs quatre autres fils dans le village de ses ancêtres en Cisjordanie. Personne n'imaginait que la décision de retourner en Palestine coûterait la vie à l'un de leurs fils.

Al-Mazra’a ash-Sharqiya - dont certains des 10 000 originaires sont dispersés aux USA et en Amérique du Sud - est un village aisé d'environ 4 500 habitants, avec de belles et spacieuses maisons en pierre. Elles se dressent au sommet d'une colline qui domine la route 60, le principal axe de circulation de Cisjordanie, et offrent une vue splendide.

En contrebas, accessible par un sentier serpentin escarpé qui descend du village, se trouve l'endroit que la population locale appelle Wadi al-Baqar (la vallée du bétail) - l'endroit d'où, au fil des ans, trois jeunes hommes de la région ne sont jamais revenus vivants. Le 13 mai 2010, Aysar al-Zaban, 15 ans, a été abattu par des colons ; le 5 novembre 2022, Musab Nafal, 18 ans, a été tué et son ami grièvement blessé par des soldats en embuscade qui ont ouvert le feu sur eux ; et le 19 janvier 2024, il y a deux semaines, Taoufik Abdeljabbar - un adolescent à lunettes, un gentil garçon de l'État du Bayou - est devenu la dernière victime en date. Des colons et des soldats étaient présents sur les lieux, et l'on ne sait pas exactement qui a tiré au moins 10 balles sur la voiture qui passait. Selon un témoin oculaire, c'était les deux.

Lundi dernier, alors que nous nous rendions à Al-Mazra’a ash-Sharqiya, peu après avoir traversé Silwad, nous avons appris que les soldats d'un convoi qui passait juste après nous, avaient abattu un adolescent qui avait peut-être jeté des pierres sur les véhicules. Cet après-midi-là, lorsque nous sommes repassés par Silwad pour retourner à Tel Aviv, tous les magasins étaient fermés en signe de deuil et de protestation. Le même jour, cinq jeunes Palestiniens ont été tués de la même manière en Cisjordanie, dans des incidents qui n'ont pratiquement pas été couverts par les médias israéliens.

La maison de la famille à Al-Mazra’a ash-Sharqiya

De retour dans la maison endeuillée des Abdeljabbar, Hafeth, 41 ans, et son frère Rami, 47 ans, parlent couramment l'anglais usaméricain. Rami a été le premier à quitter la Cisjordanie pour s'installer aux USA y a 30 ans. Deux ans plus tard, ses deux frères et leurs familles l'ont rejoint. Hafeth et Rami ont ouvert leur chaîne de magasins et ont prospéré. Tous les deux ou trois ans, Hafeth et sa femme ramenaient leurs cinq enfants au pays, à Al-Mazra’a ash-Sharqiya,. En mai dernier, ils ont décidé de rentrer pour de bon. « Je voulais donner à mes fils ce que j'ai : des racines », explique le père.

Hafeth avait d'abord espéré que Taoufik resterait à la Nouvelle-Orléans pour y terminer ses études secondaires, mais le jeune homme, qui avait eu 17 ans en août, a insisté pour rentrer avec le reste de la famille. Le moment venu, a-t-il dit, il irait à l'université aux USA : son rêve était de travailler à la NASA. En attendant, il prévoyait de suivre des cours d'ingénierie à l'université voisine de Bir Zeit, afin de découvrir la vie en Palestine. Il poursuivrait ensuite ses études à la Nouvelle-Orléans.

30/12/2023

GIDEON LEVY
Un Palestinien désespéré de se rendre à son travail est abattu par des soldats israéliens


Gideon Levy & Alex Levac (photos), Haaretz, 29/12/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Depuis le début de la guerre, la famille Hajar n’a plus le droit d’accéder à son usine d’aluminium en Cisjordanie. Lorsque deux des fils ont tenté de se faufiler à travers la barrière de sécurité, les soldats ont abattu l’aîné.

Le frère de Selim, Seif (à droite), et son oncle, Raad.

 Barta’a est un village divisé - plus ou moins. Sa partie orientale, palestinienne, a longtemps été située en Cisjordanie, tandis que sa partie occidentale se trouvait en Israël. Toutefois, lorsque la barrière de sécurité a été érigée il y a une vingtaine d’années, tout le village a été laissé à l’ouest de celle-ci, comme s’il avait été annexé à Israël. Ainsi, aujourd’hui, les Palestiniens de Cisjordanie qui souhaitent visiter ne serait-ce que la partie orientale de Barta’a ont besoin d’un permis d’entrée spécial. En outre, les Palestiniens de Cisjordanie qui possèdent une entreprise à Barta’a mais n’y résident pas ont besoin d’un permis d’entrée pour accéder à leur propriété dans la partie palestinienne.

La vie sous l’occupation est remplie d’autres absurdités kafkaïennes, avec lesquelles les habitants ont appris à vivre, jusqu’à ce que la guerre à Gaza éclate et bouleverse la situation en Cisjordanie également. Les propriétaires d’entreprises et les travailleurs sont désormais empêchés de se rendre sur leur lieu de travail dans la ville palestinienne de Barta’a. Pourquoi ? À cause de la guerre. Ainsi, il ne suffit pas que 150 000 Palestiniens soient empêchés depuis plus de deux mois de se rendre à leur travail en Israël - certains ne peuvent même pas se rendre à leur travail dans les territoires palestiniens.

Que peut faire quelqu’un dans cette situation ? Essayer de se faufiler. Que font les Forces de défense israéliennes ? Elles vous abattent. Des Palestiniens désespérés qui tentent de se rendre à leur travail dans un village palestinien sont abattus. Le désespoir est omniprésent.

La famille Hajar vit dans une maison spacieuse à Shuweika, un village palestinien situé au nord de Toulkarem et devenu une banlieue de cette ville. Le père de famille, Nasser, 54 ans, a deux filles et deux fils. Il possède une usine d’aluminium à Barta’a, non loin de là. Lui et ses fils - Selim, un ingénieur automobile de 27 ans, et Seif, 19 ans, qui étudie l’ingénierie automobile à Kadoorie, un collège technique de Toulkarem - avaient l’habitude de se rendre tous les matins en voiture à leur usine, qui fabrique des produits tels que des cadres de fenêtres, des stores et des portes, pour des clients en Israël.

Haut du formulaire

Bas du formulaire

Nasser et ses deux fils ont un permis d’entrée permanent en Israël, et leur entreprise reposait sur des bases solides. Le frère aîné de Nasser, Raad, possède un garage à Barta’a ; lui aussi travaille principalement avec des clients israéliens. Cette semaine, le téléphone de Raad n’a pas cessé de sonner ; toutes les conversations se déroulaient en hébreu et portaient sur l’achat et la vente de voitures, ainsi que sur des devis pour des travaux de réparation. Les membres de ce foyer travaillent en hébreu.

« Nous avons vécu parmi vous », nous a dit Nasser lundi dernier lorsque nous lui avons rendu visite chez lui en compagnie d’Abdulkarim Sadi, chercheur de terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem.

La route vers Shuweika passe par le camp de réfugiés de Nur Shams, que les FDI ont à nouveau attaqué la semaine dernière, ajoutant de nouvelles destructions aux anciennes. On a parfois l’impression que les soldats de Cisjordanie sont jaloux de leurs copains de la bande de Gaza - qui peuvent tuer et détruire à leur guise - et qu’ils essaient de prendre des mesures semblables à celles d’un temps de guerre ici aussi. La route principale menant à Toulkarem, en face de l’entrée de Nur Shams, a été sérieusement endommagée par les opérations de l’armée, si bien que la circulation se fait de manière léthargique, les conducteurs contournant les nids-de-poule. Lorsqu’il pleut, ceux-ci se remplissent d’eau et de boue et la route devient presque impraticable. Mais pourquoi l’armée israélienne s’en soucierait-elle ? Les colons n’empruntent pas cette route.

Jusqu’à ce que la guerre éclate, les Hajar allaient travailler à leur usine et en revenaient tous les soirs. Ils devaient laisser leur voiture au poste de contrôle de Reihan et continuer jusqu’à Barta’a dans un taxi collectif ; ils n’étaient pas autorisés à utiliser leur propre véhicule pour se rendre à leur usine. Ils ont suivi la même procédure le samedi 7 octobre. « Au début, nous ne savions pas qui était contre qui ici », raconte Nasser. Ils sont rentrés chez eux le soir même et ont fait profil bas pendant un certain temps. Le mardi, ils ont repris le chemin du travail en empruntant le point de passage de Reihan à 7 h. À 7 h 15, celui-ci a été fermé - pour une durée indéterminée. Les trois hommes ont réussi à rentrer chez eux ce soir-là, mais n’ont pas pu se rendre à leur usine depuis lors.

Ils ont pourtant essayé : deux ou trois fois par semaine, ils se sont rendus à Reihan et ont introduit leurs cartes d’identité magnétiques dans le scanner afin de passer comme d’habitude, mais elles ont été rejetées. Personne n’entre dans la partie palestinienne de Barta’a ces jours-ci. Après tout, il y a la guerre à Gaza. La dernière fois qu’ils ont essayé, c’était le 12 décembre, et la carte a de nouveau été rejetée. Ils se sont renseignés à plusieurs reprises, mais l’administration palestinienne chargée de la coordination et de la liaison leur a simplement répondu que personne ne savait avec certitude quand la route et le point de contrôle seraient rouverts.

Selim Hajar

Pendant ce temps, dans l’usine déserte des Hajar, les matières premières restent inutilisées et les commandes et autres documents administratifs s’accumulent. Il y a une grosse commande de Pardes Hanna (Karkour), une autre d’une école du centre d’Israël, etc. La pression des clients et des entrepreneurs s’accentue. La famille, qui n’avait jamais eu de problèmes avec les autorités israéliennes auparavant, était complètement désemparée. Il y a deux semaines, Selim et Seif ont persuadé leur père qu’ils n’avaient pas d’autre choix que d’essayer de passer clandestinement du côté israélien avec l’aide de l’un des contrebandiers locaux.

Leur plan était de se rendre à Barta’a et d’y rester jusqu’à la fin de la guerre afin de remettre sur pied leur entreprise qui s’effondrait. Ils ont préparé des sacs à dos avec des vêtements et d’autres articles pour un long séjour. Les fois précédentes, Nasser avait opposé son veto à l’idée, mais cette fois-ci, il s’est rendu compte que la guerre et la fermeture allaient s’éterniser et qu’il fallait bien que quelqu’un aille travailler.

Les passeurs palestiniens prélèvent 300 shekels (environ 80 €) pour l’entrée de chaque personne en Israël, via des brèches dans la barrière de séparation, et pour le transport jusqu’à Barta’a. L’argent est réparti entre les chauffeurs de chaque côté de la barrière et, selon les Hajar, également entre les Israéliens impliqués dans cette industrie du trafic d’êtres humains. Selon eux, des milliers de travailleurs ont utilisé ces services depuis le début de la guerre. Nasser affirme que de grands gangs sont impliqués, et peut-être même des soldats, mais Haaretz n’a trouvé aucune confirmation de cette information. L’unité du porte-parole des FDI a déclaré : 3Aucun incident n’a été signalé au cours duquel des combattants auraient aidé des éléments non autorisés à franchir la clôture de la ligne de démarcation ».

Le samedi 16 décembre, les deux frères ont pris leurs bagages et sont partis dans la voiture du passeur qui les avait pris à leur domicile. Quarante-six travailleurs ont tenté d’entrer en Israël ce jour-là, à raison de quatre par voiture, dans un convoi. Les brèches dans la barrière de sécurité étaient situées entre deux portes qui ferment des champs de culture, l’une à Atil, l’autre à Deir al-Ghusun. Les FDI y construisent un mur en béton pour remplacer la barrière, mais il n’est pas encore achevé.

Arrivés près de la barrière, Selim et Seif, qui se trouvaient dans la deuxième voiture du convoi, en sont sortis et ont couru à travers le trou de la barrière, se retrouvant dans l’oliveraie du côté israélien, en face de la communauté arabe de Zemer. La plupart des candidats à l’infiltration se sont également cachés dans les arbres, en attendant de faire la deuxième partie du voyage : des chauffeurs israéliens assurent le transport jusqu’à Barta’a. Les deux frères se précipitent vers la voiture qui est venue les chercher.

Ils n’avaient parcouru que quelques mètres lorsque, soudain, une jeep de l’armée a surgi de nulle part et leur a barré la route. Les frères sont immédiatement sortis de la voiture et ont couru pour sauver leur vie, mais les soldats à bord du véhicule ont ouvert le feu sur eux. Selim et Seif courent dans deux directions différentes. Seif s’est abrité derrière un rocher et s’est couvert de feuilles sèches et de brindilles. Il a entendu d’autres coups de feu.

Selim a été touché par une seule balle à la tête.

Seif avait peur de sortir de sa cachette - il est resté là pendant près de quatre heures, ne bougeant presque pas, craignant d’être attrapé ou tué. Au début, il ne savait pas que Selim avait été abattu, mais depuis sa cachette, il a vu des soldats déshabiller un homme blessé. Une ambulance israélienne du Magen David Adom est arrivée au bout d’une heure environ, se souvient Seif, et a évacué le blessé (vers l’hôpital Beilinson de Petah Tikva, comme il l’a appris plus tard).

Seif a pensé que leur chauffeur avait peut-être été blessé. Ce n’est qu’après que l’ambulance et les soldats ont quitté les lieux que Seif a remarqué les vêtements et les chaussures du blessé qui gisaient sur la route, à une vingtaine de mètres de là. Ils appartenaient à Selim. Seif n’avait aucune idée de l’état de santé de son frère, ni même s’il était en vie. Il a fini par se rendre à Zemer, puis au poste de contrôle de Reihan, avant de rentrer chez lui. Il ne savait toujours pas ce qui était arrivé à Selim.

Nasser Hajar dans le village de Shuweika cette semaine, avec un poster de son fils Selim, tué par des soldats. « Que vous ne voyiez jamais rien de tel dans votre vie », dit le père endeuillé avec amertume.

Alors qu’il se cachait encore, vers 10 h 45, Seif a envoyé un SMS à son père et lui a demandé de veiller à charger son téléphone portable afin qu’il puisse l’appeler. Il a prévenu Nasser de ne pas l’appeler parce qu’il avait peur de parler à voix haute. Nasser avait un mauvais pressentiment ; il n’avait aucune idée de ce qui se passait avec ses fils. Il a essayé, en vain, d’appeler Selim pour lui demander s’ils avaient traversé la frontière sans encombre et s’ils avaient atteint l’usine.

Vers midi, quelqu’un répond enfin au téléphone de Selim et parle en arabe. Il a dit à Nasser qu’il s’appelait Amir et que Selim avait été hospitalisé dans un état grave à l’hôpital Beilinson. Il a refusé de donner plus de détails et a raccroché. Nasser a commencé à appeler toutes les personnes qu’il connaissait en Israël, y compris un ami à Zichron Yaakov, des membres de la grande famille Hajar à Acre, Taibeh et Fureidis, ainsi qu’un beau-frère à Rahat.

Il appelle également Beilinson, mais ne parvient pas à obtenir d’informations sur son fils. Finalement, il joint un médecin arabe de l’hôpital et lui demande de lui confirmer que Selim a été admis comme patient et qu’il est dans un état grave, afin que lui, Nasser, puisse obtenir un permis d’entrée en Israël pour voir son fils avant qu’il ne soit trop tard.

Nasser a également appelé l’administration civile, où quelqu’un lui a dit, après quelques heures éprouvantes, que pendant la guerre, il lui serait impossible d’entrer en Israël pour voir son fils blessé. Entre-temps, Raad, le frère de Nasser, a appris par ses propres contacts que son neveu était dans un état critique, mais il n’a pas transmis cette nouvelle à son frère. Peu après, Raad apprend que Selim a succombé à ses blessures. Il demande au beau-frère de Rahat de se rendre à Beilinson et de photographier le corps, afin qu’ils sachent avec certitude quel sort a été réservé à leur proche. Le beau-frère s’est rendu à l’hôpital, mais il a été refoulé.

« Que vous ne voyiez jamais rien de tel dans votre vie », dit Nasser avec amertume.

Lundi, la famille a entrepris des démarches pour récupérer le corps de Selim. Dans un premier temps, l’unité de coordination et de liaison a promis qu’il serait rendu rapidement. « Votre fils est mort par erreur », a-t-on dit à Nasser. Mais le ton a changé lorsqu’il est apparu qu’un soldat avait trébuché et s’était apparemment cassé la jambe en poursuivant les infiltrés. On leur a alors annoncé, pour une raison inconnue ou aléatoire, qu’il faudrait attendre un mois ou un mois et demi avant que le corps du jeune homme ne soit rendu.

La famille est effondrée. Elle attend désespérément le corps de Selim, qui, d’après ce que l’on sait, n’a fait de mal à personne et voulait seulement se rendre à son lieu de travail dans l’usine familiale.

L’unité du porte-parole des FDI a déclaré cette semaine, en réponse à une question de Haaretz : 3Les observateurs ont identifié des dizaines d’infiltrés qui ont franchi la barrière près du village de Deir al-Ghusun, sur le territoire de la brigade Menashe, le 16 décembre 2023. Une unité des FDI arrivée sur le site a lancé une poursuite des suspects, à l’issue de laquelle tous les suspects ont été appréhendés.

« Ensuite, des recherches ont été menées dans la zone, au cours desquelles l’un des suspects, blessé à la tête, a été localisé. La force a administré les premiers soins sur le terrain, après quoi l’infiltré a été évacué vers un hôpital. Son décès a été signalé par la suite. Les circonstances de l’incident sont en cours d’éclaircissement. Le corps de l’infiltré est détenu par les FDI conformément aux procédures habituelles, dans l’attente d’une décision des responsables politiques ».

 

23/09/2023

GIDEON LEVY
Milad Al Rai détestait les soldats israéliens : ils l’ont exécuté

Gideon Levy et  Alex Levac (photos), Haaretz, 22/9/2023
Traduit par
Fausto Giudice, Tlaxcala

Il n’en pouvait plus de la présence de l’armée israélienne dans son camp de réfugiés : Milad Al Rai , 15 ans, a lancé un cocktail Molotov sur le mur en béton du mirador d’où les soldats contrôlent le camp. Un tireur d’élite l’a abattu d’une balle dans le dos, le tuant. Milad rêvait de devenir musicien, comme son père

 

Mundher Al Rai se tient devant le portrait tout frais de Milad, son fils de 15 ans exécuté, peint par un cousin sur le mur extérieur de sa maison. Quelques semaines avant d’être tué par les forces de défense israéliennes, Milad avait interrogé son père sur le paradis.

Il n’était pas un garçon ordinaire et tenait en cela de son père. Il rêvait de devenir musicien, comme son père, ou joueur de football, comme Ronaldo. Mais surtout, il ne supportait pas la présence des soldats israéliens qui envahissaient le camp de réfugiés où il vivait ; jour et nuit, ils étaient là, assiégeant le camp 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, depuis une tour fortifiée située à l’entrée du camp. Au début de l’année, il a même écrit une lettre aux soldats israéliens, qui se lit aujourd’hui comme les dernières volontés et le testament d’un jeune qui savait qu’il allait mourir. Il a demandé à ce que cette lettre ne soit pas montrée à ses parents de son vivant - et il n’avait que 15 ans. La semaine dernière, son père a encadré la lettre, écrite de la main du jeune homme et remplie de ratures et de corrections. Elle sert désormais de mémorial au garçon qui détestait les soldats.

Le père est également une personne spéciale. Chanteur palestinien qui se produit dans le monde entier, il n’essaie pas de dissimuler la haine que son fils nourrissait à l’égard des soldats. Il affirme également qu’il est tout à fait possible que son fils ait jeté un cocktail Molotov sur le mur de la tour, comme l’affirme l’armée. Alors que la plupart des parents palestiniens endeuillés tentent de brouiller les actions de leurs enfants et de les présenter comme n’ayant rien fait, Mundher Al Rai n’occulte rien.

Milad a peut-être lancé une bouteille incendiaire sur la tour, mais il ne fait aucun doute qu’il n’a pas mis en danger la vie et la sécurité des soldats blindés qui se trouvent en haut de la tour. Les murs des maisons privées situées à proximité de la tour, ainsi que le mur de la tour elle-même, sont roussis par les cocktails Molotov qui ont été lancés ici par le passé, sans blesser personne et sans causer de dégâts matériels. C’est également la routine des protestations dans le camp de réfugiés densément peuplé, que les soldats assiègent depuis la tour et où ils tirent parfois sur les garçons, les tuant de sang-froid, comme ils ont tué Milad.

La façade de la maison de son père, au cœur du camp de réfugiés d’Al-Arroub, entre Bethléem et Hébron, est aujourd’hui ornée d’une immense et sombre peinture en gros plan du visage de Milad. La peinture murale, œuvre du cousin de Milad, Mohammed Al Rai, 25 ans, n’est pas terminée ; il manque le texte qui sera inséré en dessous et qui sera tiré de la lettre de Milad.

Le camp de réfugiés d’Al Arroub, la semaine dernière

Voici ce que le garçon a écrit dans sa lettre aux soldats israéliens, la lettre qu’un parent a remise à son père seulement après que son fils a été tué : « Avis aux soldats de l’armée israélienne. Vous nous haïssez toujours et vous nous maltraitez, mais nous vivrons toujours dans la bonté grâce à Dieu. Je vous aime, amis et membres de ma famille, j’espère que les générations futures seront libres. Je n’appartiens à aucune organisation, seulement au drapeau palestinien. Je t’aime, papa ». Quelques semaines avant que les forces de défense israéliennes ne le tuent, Milad avait interrogé son père sur le paradis.

Il était élève en seconde dans l’école voisine de sa maison, un garçon de 15 ans qui s’entraînait dans l’académie de football du camp. Son père raconte qu’il était un élève moyen, car la vie, la musique et le football l’attiraient plus que l’école. Les chansons de Mundher Al Rai sont adaptées de poèmes de Mahmoud Darwish et d’autres poètes ; il s’est produit dans toute l’Europe et jusqu’en Australie. Ce mois-ci, il devait donner deux concerts au Caire, qui ont naturellement été annulés parce qu’il est en deuil.

C’est un bel homme de 57 ans, vêtu de noir, marié en secondes noces et père de trois fils : Milad était celui du milieu. Aujourd’hui, il ne reste plus que Vadia, 18 ans, et Adam, 9 ans. Mundher Al Rai est assis dans le salon de sa modeste maison, fumant un narghileh et parlant de son fils cadet. Ce n’est qu’à deux reprises au cours de la conversation qu’il est sur le point de fondre en larmes, mais il se retient au dernier moment à chaque fois. L’un de ces moments survient lorsque nous lui demandons de nous montrer le clip que Milad a filmé de lui-même en train de chanter une chanson de rap, en lisant les paroles sur son téléphone portable. « Malgré toute la douleur, malgré tout ce qui se passe, je suis fort et grand. J’aime être, je vis dans un camp, je m’accroche, je suis patient, j’espère voler un jour, j’espère jouer [d’un instrument], je suis un être humain et il y a du bon en moi. Le ciel est à moi, la mer est à moi, demandez à ma mère, demandez à mon père, je suis une baleine dans la mer, je suis un aigle dans le ciel ». La chanson a été coécrite par le père et le fils, et Milad l’a enregistrée il y a quelques mois. Elle s’intitule Malgré la douleur.


Il a été tué le 9 septembre, il y a deux semaines, lors de ce qui s’est avéré être le dernier samedi de sa vie. C’était “Shabbat shalom”, dit Mundher Al Rai avec ses quelques mots en hébreu. « Ils l’ont abattu depuis la tour. De la tour. Je veux la réponse officielle à la question de savoir pourquoi ils l’ont tué. Pourquoi ? Pourquoi un soldat de 20 ans a-t-il décidé d’être un tireur d’élite et de tuer un garçon de 15 ans ? Qu’est-ce qu’il a fait ? Vous savez, ce soldat aurait pu l’attraper. Milad n’était pas un soldat et il n’était pas armé ».

Mundher Al Rai tient la chemise de son fils, montrant l’impact de la balle.

Le père disparaît à l’arrière du petit appartement et revient avec une chemise noire. « Je vais vous montrer comment il a été tué », dit-il en étouffant à nouveau ses larmes. Mundher Al Rai étale la chemise. Il y a un petit trou dans le dos, fait par la balle qui a explosé dans le corps de son fils, dévastant plusieurs organes internes, dont les reins, les poumons et la rate. Sous l’impact de la balle, il y a une grande tache de sang de son fils. Ils lui ont tiré dans le dos.

« Milad les détestait », explique son père. « Il détestait la présence des soldats dans le camp. Ce sont eux qui l’ont tué, ce sont eux qui nous ont enfoncés ans la boue. Milad a résisté ». Il raconte qu’une fois, son fils a essayé de quitter le camp et de traverser la route en direction de l’antenne d’ Al Arroub du Kadoorie College, où les habitants du camp se rendent pour prendre l’air et s’entraîner au football. Les soldats l’ont bloqué et l’ont ramené au camp. Pas de sortie.

Milad leur demandait : « Pourquoi vous êtes là ? Et pourquoi il y a une tour à l’entrée de notre camp ? » Une fois, il a été arrêté et détenu pendant quelques heures pour avoir jeté des pierres sur l’autoroute. Il a nié l’accusation. Son père a également été convoqué pour un interrogatoire et les deux ont été relâchés avec un avertissement de ne plus jeter de pierres. Une semaine avant sa mort, raconte son père, ils ont eu une discussion musclée. Mundher Al Rai a exhorté son fils à ne plus s’engager dans des confrontations avec les soldats. «  Il jouait à Tom et Jerry  avec eux », raconte-t-il. Je lui ai dit : « Khalas, ça suffit ! « 

Le dernier jour de sa vie, Milad s’est rendu à la piscine de la ville de Doura, avec un groupe de garçons, dans le cadre d’une
“journée de loisir” organisée par une ONG locale. Comme la plupart des enfants réfugiés à Al Arroub, Milad n’était jamais allé à la mer, bien qu’elle se trouve à une heure de route de chez lui. La piscine de Doura était son substitut. Il est rentré chez lui vers 14 heures. Dans la soirée, son père lui a demandé d’aller dans un magasin pour changer une ampoule qui ne fonctionnait pas.

Milad ne s’est apparemment jamais rendu au magasin. Avec deux amis, il s’est équipé de cocktails Molotov et est allé les lancer sur le mur de la tour de l’armée. Il n’y avait aucun soldat au niveau du sol à l’extérieur qui aurait pu être en danger. Basel Adra, nouveau chercheur de terrain à Hébron pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, a noté qu’à part les trois garçons, il n’y avait pas de foule dans la rue. Milad a reçu une balle dans le dos alors qu’il tentait de s’enfuir pour sauver sa vie. Il a réussi à faire quelques pas avant de s’effondrer dans les bras de ses amis.

Le père et le frère de Milad tiennent une photo de l’adolescent décédé.

Alors que son père se faisait couper les cheveux dans le camp, vers 20h30, un proche l’a appelé pour lui dire que Milad avait été blessé. Immédiatement après, la mère de Milad, Samah, l’a appelé pour lui transmettre le même message. Cependant, Mundher Al Rai était certain que son fils avait été tué. « Milad est mort », a-t-il dit à son ex-femme.

Un parent qui vit à la périphérie du camp de réfugiés, à côté de la tour, a vu Milad tomber au sol, blessé, et l’a emmené d’urgence dans sa voiture à la clinique de la ville voisine de Beit Fajar. Le camp lui-même ne dispose même pas d’un poste de premiers soins. Lorsque son père est arrivé et a vu son fils, il a déclaré : « Ce garçon a quitté la vie ». Ses yeux étaient encore ouverts mais son cœur avait cessé de battre. Le parent a raconté qu’en chemin, Milad avait gémi deux fois, puis avait cessé de respirer.

De Beit Fajar, il a été transporté en ambulance à l’hôpital Al Yamamah de Bethléem, mais les tentatives de réanimation ont échoué. À un moment donné, Mundher Al Rai a demandé qu’on arrête d’essayer. Son fils était mort.

Cette semaine, l’unité du porte-parole des FDI a répondu à Haaretz qui demandait si Milad avait mis en danger la vie des soldats dans la tour fortifiée : « Des terroristes ont lancé des cocktails Molotov sur des combattants des FDI et sur une route proche du camp de réfugiés d’Al Arroub dans [le territoire de] la brigade d’Etzion. L’un d’entre eux a pénétré dans la position de l’armée où se trouvaient les combattants. Les forces des FDI ont répondu par des moyens de dispersion de la manifestation et par des tirs. Une cible a été identifiée. Par la suite, on a appris que l’un des terroristes était mort. Les circonstances de l’affaire sont en cours d’éclaircissement ».

C’est ainsi qu’est mort le “terroriste” Milad Al Rai . Il avait 15 ans.

 

28/08/2023

Le coup d'État militaire contre Salvador Allende vu par un général chilien
Extraits du livre Un ejército de todos, de Ricardo Martínez Menanteau

La Jornada, 27/8/2023

Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala

Avant même sa présentation officielle, le livre Un ejército de todos, écrit par le général à la retraite Ricardo Martínez Menanteau, commandant en chef de l'armée chilienne entre 2018 et 2022, a déjà provoqué des remous au sein de la direction militaire du pays. Le 50e anniversaire du coup d'État qui a renversé le président Salvador Allende et instauré la dictature sanglante d'Augusto Pinochet est un moment délicat pour la coexistence entre les dirigeants civils et l’establishment militaire, qui n’a jamais reconnu la responsabilité des militaires dans ce chapitre atroce de l'histoire chilienne.


Le Corps des généraux et amiraux (retraités) a adressé il y a quelques jours une lettre au président Gabriel Boric pour lui signaler que les activités commémoratives du 11 septembre “sont en train de provoquer une plus grande division parmi nos compatriotes” et affirme : « nous ne pouvons pas garder un silence coupable devant tant d'agressivité et de dénigrement des forces militaires et policières qui ont effectivement participé - sans l'avoir cherché ni voulu - à la rupture institutionnelle de 1973 », laquelle « semble avoir été réalisée unilatéralement par les Forces armées, oubliant que ses causes n'ont jamais été générées dans les casernes ».

Au grand dam de ses compagnons d'armes, Martínez Menanteau - un homme qui a rejoint l'armée à l'âge de 15 ans et l'a quittée après en avoir été le plus haut commandant - lancera un livre unique ce mardi à l'Aula Magna de l'Université catholique de Santiago, « Conçu à l'origine comme un document destiné à sauver et à renforcer l'éthique militaire au sein des forces armées », il « vise à revaloriser l'image de l'armée aux yeux du public » et à « contribuer, 50 ans après la rupture de notre coexistence nationale, à l'indispensable réunion de tous les Chiliens », selon la présentation de l'ouvrage. Cependant, Un ejército de todos constitue une reconnaissance crue et sans précédent, formulée de l'intérieur des forces armées, de certaines des plus graves violations des droits humains, de la légalité et de l'honneur militaire perpétrées par les porteurs d’uniformes.

En raison de la pertinence et de l'intérêt de cette perspective unique, à la veille du 50e  anniversaire du coup d'État du 11 septembre 1973, La Jornada offre à ses lecteurs, en exclusivité pour le Mexique, quelques extraits de Un ejército de todos, avec l'aimable autorisation de l'éditeur JC Sáez.- La rédaction de La Jornada


René Schneider, chef de l'armée chilienne, assassiné peu avant que Salvador Allende ne soit déclaré président.

Assassinat du général Schneider

En mai 1970, le commandant en chef [le général René Schneider] a défini une politique qui devait guider la conduite de l'armée. Elle s'inscrivait dans la continuité de l'approche institutionnelle historique du respect de la Constitution de la République, que la presse a appelé jusqu'à aujourd'hui la “doctrine Schneider”. Elle réaffirme un précepte fondamental de l'armée, qui est de soutenir et de respecter la charte fondamentale du pays.

Lorsqu'on lui a demandé quel était l'objet de ces candidatures, le commandant en chef a répondu : « Notre doctrine et notre mission consistent à respecter et à soutenir la Constitution politique de l'État. Conformément à celle-ci, le Congrès est le maître et le souverain dans le cas mentionné et notre mission est de veiller à ce qu'il soit respecté dans sa décision » (interview au journal El Mercurio, 8 mai 1970).

Cet engagement en faveur de la Constitution lui a coûté la vie. Deux jours avant l'accord entre la Démocratie chrétienne et l'Unité populaire au Congrès pour l'élection de Salvador Allende, le 22 octobre 1970, alors que le commandant en chef de l'armée se rendait à son travail, un groupe d'individus d'extrême droite a encerclé le véhicule, tirant plusieurs coups de feu sur le général, qui est décédé quelques jours plus tard à l'hôpital militaire, compte tenu de la gravité de ses blessures.

L'assassinat du général Schneider a impliqué des civils et des militaires actifs et retraités, qui auraient été soutenus par la Central Intelligence Agency (CIA) des USA.

En ce qui concerne la participation de cette entité étrangère, il convient de souligner que le 18 octobre de cette année-là, des communications ont fait état de l'envoi d'armes et de munitions en provenance des USA, arrivées à l'ambassade des USA au Chili et destinées à être utilisées pour l'enlèvement du commandant en chef de l'armée.

Dans l'une des notes de la CIA, il est indiqué que « la neutralisation de Schneider sera une condition préalable essentielle au coup d'État militaire, car il s'oppose à toute intervention des forces armées pour empêcher l'élection constitutionnelle d'Allende ».

Les armes fournies par la CIA auraient été livrées à un groupe d'officiers chiliens dirigé par les généraux Camilo Valenzuela et Roberto Viaux, qui ont joué le rôle principal dans la planification et la direction du groupe qui a attaqué et tué le général Schneider.


Carlos Prats est mort avec sa femme Sofía Cuthbert dans un attentat à Buenos Aires.

Nomination du général Prats comme commandant en chef

Après l'assassinat de Schneider, le président Frei Montalva a nommé l'officier qui le suivait dans l’ordre d’ancienneté, le général Carlos Prats, une décision qui a ensuite été ratifiée par le président Allende.

Il est important de souligner qu'après les élections de septembre 1970 et dans la période précédant son assassinat, les généraux Schneider et Prats, ainsi que les commandants en chef de la marine et de l'armée de l'air, ont été autorisés par le président de la République et son ministre de la défense à fournir des conseils techniques aux groupes parlementaires qui négociaient la réforme constitutionnelle connue sous le nom de statut des garanties démocratiques, à fournir des conseils techniques aux groupes parlementaires négociant la réforme constitutionnelle connue sous le nom de Statut des garanties démocratiques, qui établit à l'article 22 que « la force publique est constituée uniquement et exclusivement des forces armées et du corps des carabiniers, institutions essentiellement professionnelles, hiérarchisées, disciplinées, obéissantes et non délibératives. Ce n'est qu'en vertu d'une loi que l'on peut fixer l'effectif de ces institutions. L'incorporation de ce personnel dans les forces armées et les carabiniers ne peut se faire que par l'intermédiaire de leurs propres écoles institutionnelles spécialisées, à l'exception du personnel destiné à exercer des fonctions exclusivement civiles ».

Cette réforme reflétait deux objectifs inhérents aux armées du monde : la défense du monopole de l'usage des armes et le souci des carrières professionnelles initiées par leur formation dans les écoles mères.

L'assassinat du général Schneider a été un événement triste et funeste et un affront à l'éthique militaire. Il est clair que lorsque des officiers de haut rang perdent leurs références éthiques et conspirent avec des activistes politiques fanatiques pour des causes fondées sur un patriotisme erroné, en fin de compte, c'est l'armée qui subit des dommages qu'il sera très difficile de réparer. Un officier général enseigne toujours à ses troupes et est un phare, même s'il ne s'en rend pas compte. Son exemple est une référence et dans ce cas, il s'agit d'une honte pour l'institution, même si le crime lui-même a été commis par des civils.

Cet assassinat ignoble a non seulement abrégé l'existence d'un commandant en chef en exercice, mais a également détruit la vie d'un soldat exemplaire dans le respect et la défense des institutions démocratiques de la république.

Face à ce crime, il est également condamnable que, dans les années qui ont suivi, les commandants institutionnels n'aient pas honoré sa mémoire, sans aucune explication. Ce n'est qu'à la fin du gouvernement militaire que son nom a été progressivement mis en valeur. Sa figure a été politiquement justifiée par des secteurs qui ont défendu des positions opposées, ce qui a certainement influencé cette inaction institutionnelle.

Incorporation du personnel militaire dans les cabinets politiques

Suite à la grave crise politique, économique et sociale qui a commencé à se développer sous le gouvernement de l'Unité Populaire, le président Allende, pour tenter de renverser la situation, a nommé un cabinet comprenant des membres des forces armées, connu sous le nom de cabinet “civilo-militaire”. Quelques mois plus tard, il a mis en place un cabinet dit de “sécurité nationale” avec les commandants en chef institutionnels. Sa mission consistait essentiellement à contrôler les actions subversives en cours et à rétablir l'ordre public.

Avec cette décision présidentielle, soutenue par certains membres de l'Unidad Popular et contestée par d'autres, les forces armées, une fois de plus dans l'histoire du pays, ont été reconnues comme garantes de la normalité institutionnelle, ce qui n'était rien d'autre que la confirmation du rôle latent susmentionné, puisqu'avec cette mesure, elles étaient à nouveau impliquées dans la situation politique, après 40 ans d'exercice strictement militaire et de marginalisation par rapport à la politique contingente.

Cependant, l'implication des forces armées n'était pas seulement de nature ministérielle, puisqu'elle s'étendait également aux entreprises d'État. En effet, dans une quarantaine d'organismes, tels que la CORFO [Corporación de Fomento de la Producción, Société de promotion de la production], la Commission de l'énergie nucléaire et d'autres, il y avait une représentation militaire [...].

La participation militaire au gouvernement de l'Unité Populaire a eu deux lectures au sein de l'institution militaire : l'une qui donne un rôle délibératif aux forces armées en plaçant les commandants en chef et les officiers généraux dans des fonctions ministérielles, et l'autre qui prouve la subordination militaire à l'Exécutif, dans ce cas précis pour éviter la confrontation violente résultant des grèves et pour garantir des élections normales en mars 1973, afin de respecter l'institutionnalité.


Le “Tanquetazo”

En juin 1973 se déroule l'épisode connu sous le nom de “Tanquetazo”, un soulèvement du 2e  Régiment blindé, une unité dans laquelle il y avait du mécontentement, en particulier parmi ses jeunes officiers, qui avaient des contacts avec des civils de Patria y Libertad, un groupe d'extrême droite qui incitait à un soulèvement militaire. La situation a été maîtrisée par le général Prats et les protagonistes de ce mouvement ont été accusés de soulèvement et de manquement aux devoirs militaires. Une fois de plus, un groupe de militaires a été instrumentalisé par des mouvements politiques qui cherchaient à s'imposer par les armes. Une fois de plus, l'ethos militaire a été dépassé par des événements politiques extérieurs à l'institution.

Il est très important de souligner la position du général Prats dans la période turbulente qui a suivi l'assassinat du général Schneider et sa confirmation dans ses fonctions par le président Salvador Allende.

Le général Prats publia un document intitulé “Définition doctrinaire institutionnelle”, dans lequel il soulignait, entre autres, ce qui suit :

« (...) La fonction de l'armée est exclusivement professionnelle ; c'est la même que celle fermement maintenue dans le passé, ratifiée par le général Schneider dans les moments critiques des événements nationaux et confirmée par le commandant en chef soussigné depuis qu'il a pris ses fonctions ».

Plan de régulation de l'organisation de l'armée en temps de paix

Pendant son commandement, le général Prats a entrepris diverses actions pour améliorer la cohésion spirituelle et l'endoctrinement du personnel de l'armée, par le biais d'un programme de visites aux unités dans tout le pays, expliquant la pensée institutionnelle et profitant de l'occasion pour s'informer sur le moral et les besoins les plus urgents du personnel.

Parallèlement, il se concentre sur la réalisation du “Plan de régulation de l'organisation de l'armée en temps de paix”, basé sur le “Plan d'acquisitions” élaboré par le général Schneider, dont l'objectif est d'accroître les capacités opérationnelles de l'armée en la dotant d'équipements modernes.

Il se préoccupe aussi particulièrement de l'égalisation des salaires des militaires avec ceux des autres institutions des forces armées. Il promeut la réforme constitutionnelle de l'article 22 qui établit que les forces armées sont “professionnelles, disciplinées, hiérarchisées, obéissantes et non délibératives”, approuvée le 9 janvier 1971.

Prats propose au gouvernement une loi accordant le droit de vote aux sous-officiers des forces armées de la nation, qui est adoptée en 1972. Il a promu la loi 17.798, qui établissait le type d'armes devant faire l'objet d'un contrôle, les sanctions pour la création et le fonctionnement de milices armées, la possession ou le port d'armes interdites, et l'entrée non autorisée dans les locaux militaires et policiers, entre autres. Cette initiative juridique n'a jamais abouti, compte tenu de la polarisation du pays.

La Chambre des députés en appelle aux forces armées

Face à la crise qui sévit, le 22 août 1973, la Chambre des députés lance un appel à l'implication des forces armées dans la crise politique. Cet appel d'une fraction du Congrès réaffirme le rôle latent attribué aux Forces armées que nous avons défendu.

Comme on peut le constater, les institutions armées ont été confrontées en 1973 à deux situations extrêmement critiques qui allaient marquer l'avenir, principalement celui de l'Armée.

Ces convulsions atteignent l'institution elle-même, qui est affectée par les bouleversements sociaux que connaît le pays. Celles-ci sont accentuées par des événements tels que la manifestation des femmes d'officiers devant le domicile du commandant en chef, qui aboutit finalement à sa démission pour éviter les divisions internes.

La crise politique, économique, sociale et institutionnelle de la période 1970-1973 a conduit les forces armées à prendre une décision extrême, sans précédent au cours du siècle, qui a consisté à déposer le président de la République et à prendre en charge le gouvernement du pays, autrement dit à réaliser un coup d'État (pronunciamiento militaire).

Les droits humains sous le gouvernement civilo-militaire (1973-1990)

Le 11 septembre 1973, le haut commandement des forces armées et des forces de sécurité décide de réaliser un coup d'État contre le gouvernement du président Salvador Allende et de prendre la direction du pays en raison de la grave crise qui s'est déclenchée. Cette étape historique, dont les répercussions se font encore sentir aujourd'hui, marque le début d'une nouvelle étape institutionnelle en matière de doctrine militaire et de droits humains.

Ce contexte exceptionnel a obligé les membres de l'armée à concentrer leurs années de formation et leurs valeurs sur des activités inédites et diverses, le tout dans une atmosphère nationale de grande tension et de polarisation. L'armée a dû déployer son personnel pour couvrir toutes les fonctions requises, des plus hautes charges aux tâches les plus simples, en recourant même à l'utilisation de réservistes dans les premiers temps. Certains ont été affectés à des tâches gouvernementales, d'autres ont été commissionnés pour des activités de renseignement national ou politique (non militaire), et un troisième groupe, la majorité, a poursuivi ses tâches militaires de routine.

Ce compte rendu ne tente pas d'analyser au cas par cas ce qui s'est passé, mais plutôt de mettre en lumière les événements qui ont remis en question - et dans de nombreux cas violé - certains préceptes moraux, individuels et institutionnels et les principes de la responsabilité militaire.

L'auto-exil du général Prats

Le 15 septembre 1973, à l'aube, l'ancien commandant en chef de l'armée, le général Carlos Prats, a été transporté à Portillo à bord d'un hélicoptère Puma. Ensuite, dans sa voiture privée et escorté par une patrouille militaire, il est arrivé à Caracoles où, après avoir accompli les formalités douanières correspondantes et pris congé de l'escorte, il a remis une lettre adressée au général Augusto Pinochet, dont les principaux paragraphes indiquaient : « L'avenir dira qui s'est trompé. Si ce que vous avez fait apporte le bien-être général au pays et que le peuple sent réellement qu'une véritable justice sociale est imposée, je me réjouirai d'avoir eu tort de chercher si ardemment une solution politique pour éviter le coup d'État. Je vous suis reconnaissant pour les facilités que vous m'avez accordées pour me permettre de quitter le pays ».

Les exigences imposées à un officier général ou supérieur dépassent de loin celles imposées à ses subordonnés. Sa responsabilité est très élevée, car une décision ordonnant à un subordonné d'effectuer une tâche peut modifier l'interprétation de la valeur de ce dernier. En effet, l'exercice d'une valeur dans des circonstances extrêmes peut être soumis à un certain degré d'interprétation.

Un élément fondamental du maintien de la discipline militaire est que les ordres donnés par un supérieur doivent être légaux, d'où l'impératif qu'ils soient exécutés par les subordonnés. L'ordonnance générale de l'armée précise que la discipline dans les relations entre militaires n'est pas un acte de soumission, mais au contraire un acte de réflexion profonde, par lequel les subordonnés abandonnent une partie de leur liberté d'action pour permettre à un commandant d'accomplir une mission dans le cadre d'un code légal, réglementaire et professionnel. Un subordonné est donc obligé d'obéir aux ordres émanant d'un supérieur, bien qu'il soit doté de la capacité de représenter à ses supérieurs les conséquences d'ordres incorrects, illégaux ou injustes.

Dans les pages du livre Ejército de Chile : Un recorrido por su historia, il est clairement et explicitement indiqué : « Les violations des droits de l'homme qui se sont produites au cours de cette période et auxquelles ont participé des membres de l'armée - qu'elles soient la conséquence d'actes dérivés de l'obéissance due, d'un usage disproportionné de la force, d'excès individuels ou d'actions fortuites - ont été une blessure profonde infligée au devoir militaire ».

 

La Caravane de la mort

L'un des épisodes les plus condamnables en matière de droits humains sous le gouvernement militaire a été la visite du général Sergio Arellano Stark et de sa suite dans différentes garnisons du nord et du sud du pays en octobre 1973, dans le but supposé de “réviser et d'accélérer les procès” des prisonniers politiques. Cette expédition, connue à ce jour sous le nom de “Caravane de la mort” a laissé derrière elle la trace douloureuse d'exécutions massives, de dizaines d'individus sortis des prisons, sommairement abattus, sans avoir bénéficié du droit à une procédure régulière. La mission de ce général peut être décrite comme une tâche parfaitement planifiée depuis Santiago, exécutée selon un programme identique dans chaque ville, avec un comportement très indiscipliné de ses membres pour intimider le personnel subordonné dans les unités et pour donner des conseils voilés et déguisés sur le terrain sur la manière de procéder avec l'“adversaire”.

Le général responsable, agissant en sa qualité de “délégué du commandant en chef de l'armée”, s'est délibérément tenu à l'écart des lieux des fusillades, distrayant les commandants de régiment dans des activités sans importance, tandis que des membres de son entourage sortaient des personnes des prisons et les abattaient ou ordonnaient à des membres de l'unité de le faire, impliquant intentionnellement le personnel du régiment dans de fausses cours martiales.

Les faits et le dossier judiciaire confirment que la mission du général Arellano était d'accélérer les procédures dans les lieux où les commandants auraient fait preuve de faiblesse après le 11 septembre 1973 (“commandants pusillanimes”, selon ses propres termes). Mais sur le plan juridique, cela n'était pas possible, car la délégation ne comptait pas de conseiller juridique dans ses rangs. Dans cette situation dramatique, les capitaines, lieutenants et sous-officiers n'avaient d'autre choix que d'exécuter les ordres de leurs supérieurs sous la menace d’être déférés cour martiale.

Il ne faut pas oublier que le haut commandement de l'époque avait déclaré, par le décret-loi n° 5 du 12 septembre 1973, que l'état de siège décrété pour cause de troubles intérieurs, compte tenu des circonstances que connaissait le pays, devait être considéré comme un “état ou temps de guerre” aux fins de l'application des sanctions prévues par le code de justice militaire et d'autres lois pénales, ce qui signifiait que le non-respect des ordres par les militaires pouvait constituer un motif suffisant pour être fusillé.

Lors d'une confrontation entre le général Arellano et le capitaine Patricio Díaz au sujet des exécutions à Copiapó, le général nie catégoriquement avoir ordonné l'exécution de prisonniers politiques, tandis que le capitaine déclare que "...la raison qui me pousse le plus à dire que le major Haag (commandant du régiment d'Atacama à Copiapó) exécutait des ordres supérieurs est que les 16 exécutions à Copiapó ont eu lieu exactement pendant la période de séjour de mon général Arellano et de sa suite dans la garnison. En complément de ce qui a été dit, je tiens à préciser que ni avant ni après la présence de mon général Arellano à Copiapó, aucun détenu n'a été exécuté...» Ce qui précède confirme clairement que sa tournée dans chacune des villes où des meurtres ont été commis a été le résultat d'un ordre exprès de cette autorité.

Le statut du général Arellano en tant que “délégué du commandant en chef de l'armée” lors de cette tournée a été très important et décisif pour les résolutions adoptées, car il représentait en sa personne l'autorité du commandant en chef de l'armée devant les commandants militaires qui le recevaient dans les différentes garnisons.

 Cette délégation implique une grande responsabilité de la part de celui qui transmet ce pouvoir à un subordonné, en l'occurrence le général Pinochet, et de la part de celui qui le reçoit de l'utiliser avec le plus grand jugement, la plus grande responsabilité et la plus grande justice, le général Arellano.

On peut donc en déduire qu'il y a eu un comportement antérieur visant à susciter la peur et à impliquer les membres de toutes les unités visitées, en leur confiant la responsabilité de se confronter aux parents des personnes touchées et en laissant ainsi les jeunes officiers et sous-officiers de ces régiments comme la face visible des exécutions.

Les actions du général Arellano étaient absolument contraires à l'honneur militaire. En outre, il n'avait aucune considération pour ses subordonnés, ce que confirme la déclaration du juge Juan Guzmán Tapia lui-même, chargé de l'enquête judiciaire sur ces crimes, lorsqu'il raconte ce qui s'est passé à Copiapó en réponse à un ordre donné par le général Arellano, (...) « cependant, les deux sous-lieutenants ont représenté l'ordre, c'est-à-dire qu'ils se sont opposés à son exécution. Nonobstant, une fois l'ordre représenté, ils ont de nouveau été contraints de s'y conformer, car s'ils ne le faisaient pas, ils seraient jugés militairement pour les crimes de trahison et d'insubordination, crimes perpétrés “en temps de guerre” et passibles de la peine de mort » (...). Il en découle que le général susmentionné n'était pas responsable des conséquences de ses actes. Quant aux officiers chargés d'exécuter les ordres, ils ont tous deux été poursuivis et purgent actuellement leur peine à Colina I. Ainsi, Arellano n'a jamais répondu de ce qui s'est passé sous son commandement, ce qui lui a valu la répudiation des personnes concernées et de toute l'institution.

En résumé, ces événements dramatiques ont causé des dommages irréversibles à la population en raison des condamnations à mort arbitraires sans procédure régulière, ordonnées par un général de l'armée, et une grave atteinte à l'image de l'institution militaire, certains de ses membres ayant été contraints de tirer sur des civils sous la menace de la mort, alors même que certains d'entre eux purgeaient déjà des peines.

Enfin, il est important de mentionner que le type d'ordres que le général Arellano a reçu du commandant en chef de l'armée n'a jamais été clarifié ; en revanche, ses performances lui ont valu une promotion au sein de l'institution, par résolution du commandant en chef.

Assassinat du général Prats

Outre les crimes de la Caravane de la mort et d'autres qui se sont produits, l'assassinat de l'ancien commandant en chef, le général Carlos Prats, et de son épouse, Sofía Cuthbert, qui a eu lieu en septembre 1974 dans la ville de Buenos Aires et dont certains membres de la DINA ont été tenus pour responsables, a été également un crime lâche, cruel et répréhensible, ainsi qu'une honte institutionnelle. Bien qu'il ait été perpétré par un organisme de sécurité n'appartenant pas à l'armée, la plupart des personnes condamnées par les tribunaux étaient des membres de l'institution.

Selon le dossier d'enquête, l'agent de la DINA Michael Townley, de nationalité usaméricaine, a placé un engin explosif dans la voiture de Prats et, le 30 septembre 1974, à 00h50, il l'a fait exploser à l'aide d'un dispositif télécommandé au moment où le couple rentrait chez lui, provoquant la mort instantanée des deux personnes.

Des années plus tard, le 5 juin 2009, le commandant en chef de l'armée, Óscar Izurieta, a fait une déclaration sur cette situation lors de l'inauguration du camp militaire de San Bernardo, [il a dit] à propos du général Carlos Prats : « ... l'armée chilienne, son commandant en chef et les milliers d'hommes et de femmes qui la composent, condamnent publiquement la bassesse de cette action et désavouent les auteurs d'un crime aussi ignoble, ainsi que les personnes indifférentes qui n'ont pas apporté leur réconfort et leur soutien aux filles d'un commandant en chef assassiné... ». Il a ajouté : « ... si la participation d'anciens militaires à ces deux crimes est confirmée par une sentence exécutoire, un acte du plus grand déshonneur aura été commis. De plus, si l'attentat contre la vie du général Prats est déjà une atteinte à l'honneur militaire, la mort de son épouse constitue un outrage à notre culture militaire et à la notion de famille à laquelle nous tenons tant... ».

Les détenus disparus

Les plus de 1 000 détenus qui ont disparu pendant le gouvernement militaire constituent l'une des pages les plus sombres des violations des droits humains au cours de cette période et représentent une plaie ouverte dans l'âme nationale.

Ne pas avoir remis les corps des victimes au moment de leur mort et ne pas l'avoir fait des années plus tard lorsque les enterrements ont été effectués dans des fosses clandestines dans le cadre d'une opération décidée par le commandant et approuvée par les commandants supérieurs de l'époque représente un grave affront à l'éthique militaire et un affront très douloureux pour les familles touchées.

C'est aussi, et à juste titre, l'un des facteurs les plus déterminants dans les accusations portées aujourd'hui encore contre l'armée par les différentes organisations de défense des droits humains.