Ruth Margalit, The New Yorker, 27/2/2023
Traduit par Fausto Giudice, Tlaxcala
Alors
que des troubles agitent le pays, une figure controversée de l’extrême droite
aide Benjamin Netanyahou à se maintenir au pouvoir.
À la fin de l’année
dernière, alors qu’Israël inaugurait le gouvernement le plus à droite de son
histoire, une blague désespérante a circulé en ligne. Une image divisée en
carrés ressemblant à un captcha - le test conçu pour vous différencier d’un
robot - représentait les membres du cabinet du Premier ministre Benjamin
Netanyahou. La légende disait : « Sélectionnez les carrés dans lesquels
apparaissent les personnes qui ont été inculpées ». La bonne réponse
concernait la moitié d’entre eux. C’était le genre de message qui est devenu
typique du centre et de la gauche israéliens ces dernières années : sombre,
cynique et finalement résigné.
Quelques
semaines plus tard, le cabinet Netanyahou a présenté la première étape d’une refonte
judiciaire qui affaiblirait la Cour suprême du pays et rendrait le gouvernement
largement imperméable au contrôle. Les députés de droite avaient déjà proposé
une mesure similaire, mais elle avait été jugée trop radicale. Ce qui a changé,
selon les opposants à Netanyahou, c’est qu’il est désormais accusé d’avoir
accordé des faveurs politiques à des magnats en échange de cadeaux personnels
et d’une couverture médiatique positive, accusations qu’il nie. En supprimant
les contraintes qui pèsent sur le pouvoir exécutif, la refonte menaçait de
placer Israël dans les rangs de démocraties peu libérales telles que la Hongrie
et la Pologne. Dans un discours extraordinairement brutal, la présidente de la
Cour suprême du pays, Esther Hayut, l’a qualifiée de “coup fatal” porté aux
institutions démocratiques. Depuis lors, des dizaines de milliers de
manifestants se sont déversés dans les rues de Tel-Aviv et d’autres villes
chaque samedi. La pancarte d’un manifestant résume le sentiment général : « À
vendre : Démocratie. Modèle : 1948. Sans freins ».
Netanyahou
dirige le Likoud, un parti qui se définit par des idées conservatrices et
populistes. Le Likoud a longtemps adopté des positions dures en matière de
sécurité nationale, mais ses dirigeants ont toujours vénéré l’État de droit,
maintenu l’équilibre des pouvoirs et défendu la liberté d’expression. Netanyahou
avait lui aussi l’habitude de courtiser les électeurs centristes, en tentant de
convaincre les indécis. Mais l’échec des négociations de paix avec les
Palestiniens et la montée en puissance du nationalisme religieux ont eu pour
effet de ratatiner la gauche israélienne et de rendre le parti de Netanyahou
plus extrémiste. Récemment, un député du Likoud a présenté une proposition qui
interdirait à de nombreux hommes politiques palestiniens de se présenter à la
Knesset.
Les
manifestants avertissent que les titres des journaux israéliens commencent à ressembler
à un manuel pour les futures autocraties, avec des ministres apparemment triés
sur le volet pour saper les services qu’ils dirigent. Le nouveau ministre de la
Justice a l’intention de priver le système judiciaire de son pouvoir. Le
ministre des Communications a menacé de défaire le radiodiffuseur public
israélien, espérant apparemment canaliser l’argent vers une chaîne favorable à Netanyahou.
Le ministre des Affaires de Jérusalem et des Traditions a qualifié les
organisations représentant les juifs réformés de “danger actif” pour l’identité
juive.
Ben-Gvir a bâti sa carrière sur la
provocation. En tant que ministre de la sécurité nationale, il supervisera ce
qu’un fonctionnaire appelle une “armée privée”. Illustration de Yonatan Popper
Cependant,
personne n’offense les Israéliens libéraux et centristes autant qu’Itamar
Ben-Gvir. Entré à la Knesset en 2021, il dirige un parti d’extrême droite
appelé Otzma Yehudit, Pouvoir juif. Son modèle et sa source idéologique sont
depuis longtemps Meir Kahane, un rabbin de Brooklyn qui s’est installé en
Israël en 1971 et qui, au cours d’un seul mandat à la Knesset, a testé les
limites morales du pays. Les hommes politiques israéliens s’efforcent de
concilier les identités d’Israël en tant qu’État juif et que démocratie. Kahane
a affirmé que « l’idée d’un État juif démocratique est absurde ».
Selon lui, les tendances démographiques allaient inévitablement faire des
non-Juifs d’Israël une majorité, et la solution idéale était donc « le
transfert immédiat des Arabes ». Pour Kahane, les Arabes étaient des “chiens”
qui “doivent rester tranquilles ou dégager”. Sa rhétorique était si virulente
que les députés des deux bords avaient l’habitude de quitter la Knesset lorsqu’il
prenait la parole. Son parti, le Kach (Ainsi), a finalement été exclu du
parlement en 1988. Pouvoir Juif est une émanation idéologique du Kach ;
Ben-Gvir a été l’un des responsables de la jeunesse du Kach et a qualifié
Kahane de “saint”.
Âgé de
quarante-six ans, il a été condamné pour au moins huit chefs d’accusation, dont
le soutien à une organisation terroriste et l’incitation au racisme. Son casier
judiciaire est si long que, lorsqu’il comparaissait devant un juge, « nous
devions changer l’encre de l’imprimante », m’a dit Dvir Kariv, un ancien
fonctionnaire de l’agence de renseignement Shin Bet. En octobre dernier encore,
Netanyahou refusait de partager la scène avec lui, ou même d’être vu avec lui
sur des photos. Mais une série d’élections décevantes a convaincu Netanyahou de
changer d’avis.