Un article publié au lendemain de la mort du président Chávez le 5 mars
2013
Hugo Chávez
fut un personnage en chair et en os sorti du roman le plus fantaisiste de
Gabriel García Márquez. Enfant pauvre de Sabaneta (capitale de l’État de
Barinas) qui a juré de ne pas trahir son enfance de privations et de précarité,
il a appris très jeune à confectionner et à vendre des friandises. Fils d’instituteurs
qui avait grandi avec sa grand-mère Rosa Inés et deux autres de ses frères, il
a vécu dans une maison au toit de palme, aux murs et au sol en terre, qui, avec
la pluie, était inondée. Enfant, il rêvait d’être peintre et rêvait de jouer au
base-ball dans les Grandes Ligues, Toute sa vie, ses origines humbles l’ont
nourri.
Sa
grand-mère, qu’il appelait Mamá Rosa, lui a appris à lire et à écrire avant d’entrer à l’
école primaire. À ses côtés, il a appris les injustices de ce monde et a connu le
dénuement et la douleur, mais aussi la solidarité. De ses lèvres -elle était une
narratrice extraordinaire -, il a reçu ses premières leçons d’histoire nationale,
mélangée à des légendes familiales.
L’enfant
Hugo Chávez a voyagé par le monde à travers les illustrations et les histoires
qu’il a lues dans les quatre grands et gros tomes de l’Encyclopédie
Autodidacte Quillet, cadeau de son père. En dernière année de l’école
primaire, il fut choisi pour faire un discours à l’évêque González Ramírez, le
premier à arriver jusqu’à son village. Dès lors il prit goût à parler en public
et les autres l’écoutaient avec intérêt.
Son idole
fut Isaías Látigo [Fouet] Chávez, lanceur dans les Grandes Ligues. Il ne
l’a jamais vu, mais il l’imaginait en suivant les matches à la radio. Le jour
où son héros est mort dans un accident d’avion, le monde est tombé sur le jeune
Hugo, âgé de 14ans.
Pour être
comme le Látigo, le garçon de la brousse est entré dans l’armée. Ses qualités
de base-balleur lui ont ouvert les portes de l’Académie Militaire en 1971.
Quatre ans plus tard, il fut diplômé comme sous-lieutenant avec une licence en
sciences et arts militaires, un diplôme en contre-insurrection, avec une
boussole qui indiquait comme nord la direction du chemin révolutionnaire.
Sa prise de
conscience fut un processus long et complexe, dans lequel se sont combinés lectures,
une connaissance de personnages-clé, et événements politiques de l’Amérique
Latine. Dans un des épisodes de réalisme magique qui ont marqué sa vie, en
1975, lors d’une opération le sous-lieutenant Chávez a trouvé à La Marqueseña, Barinas,
une Mercedes Benz noire cachée dans la forêt. Après avoir ouvert le coffre avec
un tournevis, il est tombé sur un arsenal subversif composé de livres de Karl
Marx et de Vladimir Illich Lénine, qu’il a commencé à lire.
Quant à ce
qui a contribué à forger ses attitudes politiques, Son frère ainé Adam, militant
du Mouvement de la Gauche Révolutionnaire (MIR) a eu une influence décisive. Sa
participation à une expérience éducative des forces armées appelée Plan Andrés
Bello, destinée à offrir aux militaires une formation humaniste, joua aussi un
rôle. De même, , la découverte de Simon Bolívar contribua à son éducation
politique et la voracité intellectuelle de Chavez l’a conduit à lire tout
document trouvé sur la biographie et la pensée du Libertador. Plus tard, l’influence
de Fidel Castro, qu’il a traité comme s’il était son père, allait être
définitive.
Le
renversement de Salvador Allende en 1973 a provoqué chez lui un grand mépris
envers les militaires de l’acabit d’Augusto Pinochet, si répandus en Amérique
Latine. Au contraire, la connaissance de l’œuvre du panaméen Omar Torrijos et
du Péruvien Juan Velasco Alvarado lui a montré l’existence d’un autre type de
forces armées à vocation nationaliste et populaire, si différentes des gorilles
formés à l’École des Amériques.
Rebelle aux outrages,
il a découvert sous l’uniforme les abus et la corruption de ses dirigeants, et,
il les a combattus comme il a pu « Je suis allé au Palais [présidentiel
de Miraflores, NdT] pour la première fois – racontait Chavez – chercher une
caisse de whisky pour la fête d’un officier ». Pour les dégager, lors l’anniversaire
de la mort de Simon Bolívar en 1982, un petit groupe d’officiers, parmi
lesquels se trouvait Chavez, a fait le serment de Samán de Güere, par lequel
ils ont fondé le Mouvement Bolivarien Révolutionnaire 200 (MBR200).
Presque sept
ans plus tard s’est produit un soulèvement spontané des quartiers pauvres du
Caracas contre les mesures d’austérité du gouvernement de Carlos Andrés Pérez.
Le Caracazo a été écrasé dans le feu et le sang. La rébellion populaire
a donné une grande impulsion au mouvement des militaires bolivariens.
En 1992,
Chávez et ses compagnons se sont soulevés en armes. La révolte a échoué et
Chavez est allé en prison. Il a assumé la responsabilité face aux médias. Sa
popularité et son ascendant politique furent à partir de ce moment-là en
hausse. Après avoir retrouvé la liberté, sa présence politique a vite progressé
face à la déroute du système politique traditionnel. Il a gagné l’élection
présidentielle de 1998 avec 56 % des voix. À partir de ce moment, personne
n’a pu l’arrêter. À plusieurs reprises, il a gagné presque tous les élections
et les referendums auxquels il a participé, et il a aussi miraculeusement
survécu à un coup d’État et à une grève pétrolière.
Tout au long
des presque 20 ans pendant lesquels il a dirigé l’État vénézuélien, le
lieutenant-colonel a refondé son pays, il l’a décolonisé, il a rendu visibles
les invisibles, il a redistribué la rente pétrolière, il a éradiqué l’analphabétisme
et la pauvreté, il a élevé d’une manière incroyable les indices de santé, il a
augmenté le salaire minimum et il a fait progresser l’économie. En même temps, sur
la scène internationale, il a renforcé le pôle des pays pétroliers face aux
grandes compagnies privées, il a fait dérailler le projet de zone de
libre-échange pour les Amériques, l’ALCA, impulsé par Washington, il a créé un
projet alternatif d’intégration continentale et il a établi les bases pour un
socialisme en accord avec le nouveau siècle.
Hugo Chávez
fut un communicateur formidable, un infatigable conteur d’histoires, un
éducateur populaire. Ses récits, hérités des contes que Mamá Rosa lui
offrait dans son enfance, qui mélangeaient histoire nationale, lectures
théoriques, anecdotes personnelles, souvent en temps réel. Le sens de l’humour
était toujours présent. « Si ta
femme te demande de te jeter par la fenêtre – blaguait-il – il est temps que tu
déménages au rez-de-chaussée... »
Ses
narrations suivaient le modèle classique des sonates musicales, où deux thèmes
en contraste se développent dans des tonalités voisines. Dans ses discours il
recourait de la même façon à la poésie et au chant. « Je chante très mal –
se justifiait il – mais, comme l’a dit cet habitant des Llanos, Chávez
chante mal, mais il chante joli », pour, ensuite, interpréter une chanson ranchera
ou une ballade.
Antiimpérialiste,
antinéolibéral, il a commencé à réaliser le miracle de construire les
fondations de l’utopie dans un pays qui de manière imaginaire était plus près
de Miami que de La Havane. Llanero pur jus, fabuliste infatigable,
Chavez a rêvé de revivre l’idéal socialiste quand très peu de personnes souhaitaient
en parler. Et il l’a fait, pour ne jamais trahir son enfance d’enfant pauvre de
Sabaneta.